La lettre du contentieux #4 La Liberté du Commerce et de l'Industrie

Le principe de la Liberté du Commerce et de l’Industrie fait partie, depuis la Révolution, du paysage juridique français.

Instituée par le « décret d’Allarde » et confirmée par la loi dite « Le Chapelier », qui a supprimé les corporations, cette liberté découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».

Elle est donc un principe général du droit qui regroupe trois domaines :

  • La liberté d’entreprendre : l’idée est d’autoriser l’entrepreneur à faire le commerce qu’il souhaite et à s’établir où il veut ;
  • La liberté d’exploitation : l’entrepreneur décide seul des moyens à employer à condition qu’ils soient licites ce soit licite ;
  • La liberté de la concurrence : l’entrepreneur a le droit de faire concurrence aux autres et de leur prendre leur clientèle à conditions que les procédés ne soient pas déloyaux et malhonnêtes.


Près de deux cent cinquante ans après sa consécration, la Cour de Cassation apprécie encore la régularité des usages du commerce au regard de cette liberté fondamentale !

L'arrêt de la Cour de Cassation du 10 novembre 2021

Dans cette affaire, deux personnes avaient créé, en 1997, une société dans le domaine de l'édition de logiciels. Après 10 ans d’existence, elles avaient cédé leurs actions à une société prestataire de services informatiques, et étaient devenues salariés et actionnaires de ladite société acquéreuse, ce pendant 4 ans.

Les cédants avaient créé une nouvelle entreprise bien des années après avoir cédé les actions de la société qu’ils avaient créé en 1997, et dont ils entendaient donc aujourd’hui faire concurrence.

Ils étaient assignés par la société cessionnaire, en restitution partielle de la valeur des droits sociaux cédés et en réparation de son préjudice, ce sur le fondement de la garantie légale d'éviction.

La question qui se posait était de savoir si les cédants étaient tenus à garantie en raison de la création d'une nouvelle société faisant concurrence à la société cédée.

Garantie d’éviction du cédant de droits sociaux : proportionnalité et limitation dans le temps

Pour la toute première fois, et au visa du très célèbre principe de la liberté du Commerce et de l’Industrie, la Cour de cassation a consacré un impératif, celui de la proportionnalité de l'interdiction de rétablissement résultant de la garantie d'éviction par rapport aux intérêts légitimes à protéger, pour en déduire que cette garantie est limitée dans le temps :

  • « si la liberté du commerce et la liberté d'entreprendre peuvent être restreintes par l'effet de la garantie d'éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l'acquéreur, c'est à la condition que l'interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger ».

La Cour de Cassation a censuré l’arrêt de la Cour d’Appel, qui les avait condamné à réparer le préjudice de la société cessionnaire, au motif qu’elle n’avait pas recherché si, au regard de l’activité de la société dont les actions avaient été cédées, l’interdiction de se rétablir était encore justifiée au moment des faits reprochés.

Avec cette récente décision de la Cour de Cassation, il nous est donné de constater que la liberté du Commerce et de l’Industrie est un véritable baromètre dans bien des domaines !

La liberté du Commerce et de l’Industrie dans l’appréciation de la concurrence déloyale aussi

Si par principe, cette liberté garantie à quiconque un droit à entreprendre, un droit d’exploitation et un droit à concurrencer, la jurisprudence est constante sur le fait que la mise en œuvre de cette liberté doit est conditionnée à la loyauté et le respect de libre jeu de la concurrence.

En particulier, le débauchage d’un salarié d’une entreprise concurrente devient illicite lorsqu’il est réalisé par l’utilisation de manœuvres déloyales et qu’il a pour conséquence une désorganisation du concurrent ! (arrêt du 18 novembre 2020 n°18-19.012) (A ce sujet, voir « La lettre du contentieux #2 débauchage du personnel du concurrent »).